Usus, fructus, mais pas abusus. La question de l’usufruit

Par Gilles Vago

4 Fév

Qu’est-ce qu’un usufruit ?

L’usufruit est une forme de servitude régie par le Code civil suisse à l’article 745 à 775.

Elle est établie, dans l’immobilier, en faveur d’une personne, physique ou morale, que l’on nomme l’usufruiter.

Le propriétaire de l’objet grevé d’une servitude d’usufruit est nommé le nu-propriétaire.

L’usufruitier dispose d’un droit de jouissance complet sur la chose grevée.

C’est-à-dire le droit d’user de la chose (usus) et d’en récolter les fruits (fructus), respectivement d’occuper la chose ou d’en obtenir des loyers.

Si des dispositions contraires ont été prises, ce droit peut se limiter à une partie définie d’un bâtiment ou d’un immeuble (parcelle, lot de PPE, DDP, mine ou concession hydraulique).

Un usufruit s’éteint en principe à la mort de l’usufruiter, pour autant que ce dernier soit une personne physique.

Pour le cas d’une personne morale, l’usufruit s’éteint à la dissolution de la période morale ou à l’échéance d’un terme (mais au maximum cent ans).

Mais un usufruitier peut également renoncer à son droit d’usufruit.

L’usufruit offre donc plusieurs avantages à l’usufruitier mais celui-ci doit gérer l’objet en suivant les règles d’une bonne administration.

Il a la charge de l’entretien courant (les petites réparations) ainsi que des frais d’exploitation (comme les taxes d’épuration, les frais de conciergerie, les assurances, etc.) et les intérêts des dettes dont l’immeuble est grevé.

Les impôts, ainsi que les autres redevances sont payés par le nu-propriétaire, mais peuvent être partiellement répercutés sur l’usufruitier.

Quand est utilisé l’usufruit ?

Dans la pratique, L’inscription d’un usufruit se fait souvent en faveur de la conjointe d’un propriétaire (mais cela s’applique pareillement pour un conjoint), par voie testamentaire, afin de lui assurer un domicile et/ou des revenus ainsi que de la préserver des prétentions des héritiers.

On l’observe également en cas de donation aux descendant de l’usufruitier, dans quel cas cela permet à ces derniers de bénéficier d’une charge fiscale plus faible.

De plus, en cas d’entrée en établissement médico-social de l’usufruitier, il ne peut être contraint à vendre son bien pour couvrir les coûts du home : l’immeuble ne leur appartient plus !

Vous trouverez plus d’information par rapport à l’effet financier de l’entrée en EMS (dans le canton de Vaud) ici et ici.

Petit exemple

Monsieur B. a 2 enfants nés d’un premier mariage.

Suite à son divorce, il a acquis une maison dans laquelle il vit en concubinage avec sa nouvelle conjointe ; ce dernier ne souhaitant pas se remarier.

Malheureusement, ses enfants n’appréciant pas sa nouvelle conjointe, Monsieur B. sait que cela posera des problèmes à son décès.

Sachant que la femme qui partage sa vie n’aura pas les moyens de trouver à se reloger aux mêmes conditions, il fait inscrire, par voie testamentaire, un usufruit en sa faveur sur la maison dans laquelle ils vivent. Ainsi, à son décès, ses enfants ne pourront pas empêcher la conjointe de résider dans la maison.

Quels sont les effets ?

Dans l’esprit des gens, l’argent que l’on vous donne immédiatement a plus de valeur que celui promis avec une échéance fixée à dix ans.

Il en va de même pour une maison qui n’est pas disponible immédiatement.

Ceci découle d’une part de risques liée au temps (serez-vous encore vivant au moment d’en jouir ?), aux imprévus (changement juridique, de marché, environnemental, etc.) ou autre.

Plus le délai est long, plus grand est le risque. Par conséquent, il est difficile de trouver un acquéreur pour un immeuble grevé d’un usufruit.

Du point de vue de la valeur de l’objet, celle-ci peut fortement diminuer (selon l’espérance de vie résiduelle de l’usufruitier), d’où l’intérêt d’une donation précoce d’un point de vue fiscal.

Effet de l'usufruit
Dans l’illustration ci-dessus, la barrière symbolise la protection amenée par le droit, les fruits représentent les loyers ou la jouissance qui pourraient être obtenus de l’arbre ce dernier illustre la propriété.
C’est l’usufruitier qui cueille les fruits, mais l’arbre reste chez le nu-propriétaire.

Comment cela est pris en compte dans la valeur ?

La valeur d’un objet grevé d’un usufruit n’est pas la même que la valeur de l’usufruit à proprement parlé.

La valeur d’un usufruit doit parfois être calculée quand une situation implique l’obtention de la renonciation à la servitude de la part de l’usufruitier, en vue d’une mise sur le marché pour une vente.

Le versement d’une indemnité est alors nécessaire pour permettre à l’usufruitier de se reloger ou de couvrir d’autres charges.

Du point de vue du nu-propriétaire :

Un objet grevé d’un usufruit n’est pas disponible immédiatement.

Faute de mieux, pour les usufruits en faveur de personnes physiques, ce sont des tabelles d’espérance de vie qui sont utilisées pour fixer un horizon théorique à la libération de l’objet.

Après détermination de la valeur de l’objet, celle-ci est actualisée en fonction de l’espérance de vie de l’usufruitier (ou des usufruitiers).

Le taux d’actualisation utilisé doit tenir compte d’un risque d’évolution si la durée est longue.

Du point de vue de l’usufruitier :

L’objet pouvant être occupé (usus) ou mis en location (fructus), c’est la valeur locative, effective ou supputée, qui est utilisée.

Cette dernière correspond à une rente qu’il convient d’actualiser pour la période correspondant à l’espérance de vie de l’usufruitier (ou des usufruitiers).

Gilles Vago
Expert en estimations immobilières avec Brevet Fédéral
Membre de la Chambre suisse d'Experts en estimations Immobilières (CEI)
Usufruit avec fruits

4 Fév