Le poids de l’histoire

Par Gilles Vago

22 Jan

La méthode moderne d’estimation part du principe que seuls les éléments futurs ont un effet sur la valeur actuelle.

Ce principe est généralement correct.

Mais comme il faut une exception à toute règle, celle-ci pourrait être : sauf pour une construction qui a été le lieu d’un événement historique récent dont la portée n’est pas encore saisie ou n’a pas encore été révélée.

Par exemple : la naissance il y a deux ans d’une personne qui sera dans 20 ans l’homme ayant réussi à apporter la paix dans le monde.

La maison qui a vu grandir ladite personne n’est alors pas un lieu de culte ou de pèlerinage, mais a de bonnes chances de le devenir une fois la noble destinée de son habitant accomplie.

Et le plus souvent, quand une construction entre dans l’histoire, ce sont les services du patrimoine et, par extension, des monuments historiques qui entrent en jeu.

Des variations cantonales

Nous sommes en Suisse, donc fédéralisme oblige, les noms, les titres et les façons de faire varient d’un canton à l’autre.

Dans le canton de Vaud, les bâtiments recensés disposent d’une note allant de 1 à 7 en fonction de la qualité de l’objet, la note 1 correspondant à un monument d’importance nationale à la note 7 qui correspond à un objet altérant le site.

Dans le canton de Genève la gradation est donnée par les valeurs : « Exceptionnel », « Intéressant », « Intérêt secondaire » et « Sans intérêt ».

Le jet d'eau et les Lains des Pâquis
Le Bains des Pâquis comme le célèbre jet d’eau sont au bénéficie de la protection des biens culturels.

Dans le canton de Fribourg, ce sont des lettres qui définissent le caractère du bâtiment retenu soit A pour une « Haute qualité », B pour une « Bonne qualité » et C pour une « Qualité moyenne ». Les bâtiments ne sont pas retenus ne disposent pas de lettre (il s’agit d’immeubles moins intéressants du point de vue des critères de notation ou de bâtiments trop jeunes).

Tous les bâtiments ne sont pas protégés, et tous les bâtiments protégés ne le sont pas intégralement. Certains ne seront protégés que pour les éléments prépondérants, comme un vitrail, une marquise, un escalier monumental ou autre.

Là encore, à chaque canton sa cuisine. L’important est de garder à l’esprit que plus l’importance historique est élevée, plus les contraintes seront conséquentes en cas de travaux.

Les critères

Les bâtiments sont notés en fonction de leur authenticité, de leur intégration dans un paysage bâti, de l’unicité de leur caractère, de leur appartenance à un style artistique ou à une époque, de son histoire, etc.

Ces qualités sont parfois protégées, par l’adoption de mesures de protection, pouvant porter sur tout ou partie de la construction.

Ainsi, quand on se rend dans la commune de Veytaux, dans le canton de Vaud, c’est en général pour y voir le château de Chillon.

C’est oublier que d’autres éléments bâtis témoignant de périodes plus récentes sont présents.

Vous seriez surpris du nombre de touristes indiens qui, arrivé sur le parking du château profitent pour y admirer le viaduc de Chillon.

Du point de vue des indigènes, ce dernier passe souvent pour une balafre dans le paysage. Mais c’est oublier les prouesses techniques qui ont été nécessaires à sa réalisation ainsi que sa taille impressionnante. En cela il s’agit d’un élément de patrimoine qui méritait d’être préserver, et c’est ce qui lui est arrivé en 1995 quand il a d’abord été mis à l’inventaire, puis au bénéfice de la protection des biens culturels d’importance nationale (PBCA).

l’impact financier

Au-delà de la fierté d’habiter un château, ou d’avoir réussi à acquérir une maison à l’architecture unique, être propriétaire d’un monument historique (ou simplement protégé par des mesures de conservation) c’est avant toute chose une rigidité qui peut se révéler financièrement très lourde et il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de se porter acquéreur d’un tel objet.

Heureusement il existe un principe que les services de monuments historique des différents canton connaissent bien puisque il s’agit de l’un des textes majeurs de la protection du patrimoine architectural : La charte de Venise, dont voici deux articles capitaux dans la détermination de la valeur d’un bien à caractère historique.

« Article 4
La conservation des monuments impose d’abord la permanence de leur entretien.
»

Entretenir un bâtiment récent représente certes un coût. Toutefois, celui-ci reste mesuré car en absence de mesure de protection, le propriétaire est libre de réaliser les travaux en utilisant des méthodes modernes, maîtrisées et au coût raisonnable.

L’entretien d’un bâtiment historique peut, en revanche, être très élevé. Certains savoir-faire ont quasiment disparu, ou sont devenus financièrement élevés en raison, par exemple, d’une évolution du coût de la main d’œuvre.

Ainsi, les ferronneries d’art ou les pierres taillées, par exemple, sont devenues un surcoût important en regard du standard actuel.

Sans une aide financière, de tels travaux peuvent signifier la ruine d’un propriétaire, à plus forte raison si les investissements consentis ne peuvent pas être rentabilisés.

La seule possibilité d’assurer une pérennité à un bâtiment n’ayant plus de fonction dans la société actuelle est alors d’en accepter le changement d’affectation. Ce principe est également admis par la charte de Venise.

«  Article 5
La conservation des monuments est toujours favorisée par l’affectation de ceux-ci à une fonction utile à la société ; une telle affectation est donc souhaitable mais elle ne peut altérer l’ordonnance ou le décor des édifices. C’est dans ces limites qu’il faut concevoir et que l’on peut autoriser les aménagements exigés par l’évolution des usages et des coutumes. »

On le voit, le changement doit être mesuré. Certaines parties de la construction disposent peut-être encore d’une affectation et de finitions en adéquation avec les standards attendus et le marché, gardant ainsi une réalité économique.

La collaboration avec le service compétant (parfois représenté par un architecte du service des monuments historiques) est nécessaire pour déterminer quel futur donner à une construction protégée et ainsi en estimer la valeur.

Nous pouvons donc bel et bien appliquer la méthode moderne d’estimation pour l’estimation d’un bien patrimonial au sens historique, et c’est un type de mandat pour lequel notre bureau possède une expérience et est à même de vous assister.

Mais encore

Pour conclure, nous souhaitons également vous rendre attentifs au fait que les notions de patrimoine, ainsi que les mesures de protection y relatives ne s’arrêtent pas à des bâtiments, mais peuvent s’étendre à des sites bâtis, des jardins, des arbres classés, des biotopes, etc.

Des organismes chargés d’en dresser la liste ainsi que des mesures de protections propres à chaque cas existes. Il convient de garder ceci à l’esprit lors de l’estimation d’un bien ou en vue de réaliser des travaux (chartes de Florence pour les jardins historique, charte de Cracovie pour les ruines, etc.).

Gilles Vago
Expert en estimations immobilières avec Brevet Fédéral
Membre de la Chambre suisse d'Experts en estimations Immobilières (CEI)
le viaduc et le château de Chillon

22 Jan