Estimations statistiques?

Par Gilles Vago

16 Oct

Depuis quelques années on voit apparaître des agences de vente de biens immobiliers « sans commission », c’est à dire sans prendre la commission de courtage, généralement liée au prix de transaction.

Deux entreprises ayant adopté cette pratique sont particulièrement visibles sur internet, il s’agit de Neho et de Kiiz.

Le prix généralement affiché pour la prise en charge de la vente est de fr. 7’500.- et comprend en gros :

  • Une estimation de la propriété,
  • La mise en valeur de l’objet,
  • La diffusion d’une annonce,
  • L’accompagnement et la gestion des prospects.

Cette nouvelle donne dans le domaine immobilier nous a interrogé et nous avons cherché à connaître quel-est le degré de satisfaction des clients et la qualité de la prestation fournie. Notamment du point de vue des estimations.

Il serait légitime de se dire que les témoignages diffusés en boucle sur leurs sites internet sont des preuves de la qualité du service reçu, or il s’agit en réalité de preuves de satisfaction.

Malheureusement, il est possible d’être satisfait d’un mauvais service, par ignorance, par tromperie ou par erreur.

Le témoignage est une forme de preuve dont il faut se méfier, car régulièrement, les gens mécontents d’une prestation ne donnent pas de témoignage auprès de l’entreprise. De plus, il serait contre productif pour cette dernière de faire connaître au public le mécontentement d’un client.

Dès lors, nous sommes allés chercher d’éventuels témoignages externes aux sites des vendeurs « sans commission » et il faut bien l’admettre, nous n’avons pas trouvé beaucoup de témoignages négatifs (mais le principe étant récent, l’expérience sera à reconduire dans quelques années).

Or, à l’heure d’internet, protégé par l’anonymat des écrans, les langues auraient plutôt tendance à se délier et des clients mécontents ne devraient logiquement pas manquer de se prononcer.

Il parait donc plausible que la satisfaction des clients soit effective. Mais qu’en est-il de la qualité du service ?

Le courtage n’est pas notre métier. Nous ne pouvons pas nous prononcer sur la qualité de l’accompagnement et la gestion des prospects, ni sur la diffusion de l’annonce, pas plus que sur la mise en valeur de l’objet.

En revanche, l’expertise immobilière est notre métier, or les sites en question présentent une partie de leur personnel comme des experts, et intègrent une estimation de la valeur de la propriété.

Il faut savoir qu’en Suisse, le titre d’expert n’est pas protégé. En revanche le titre d’expert en estimations immobilières avec brevet fédéral l’est. Il existe également des associations de professionnels du domaine comme la Chambre suisse d’Experts en estimations Immobilières (CEI).

Dès lors, il est judicieux de demander audit expert dans quel domaine il est expert, et s’il s’agit d’un expert en estimations immobilières: quelle est la méthode utilisée pour déterminer la valeur du bien?

Compte tenu des informations trouvées sur leur site, il est légitime de penser qu’ils utilisent soit une méthode économétrique (ou hédoniste), c’est à dire une méthode se basant sur des données statistiques.

Brisons le cou aux préjugés immédiatement, nous ne parlons pas de pseudos méthodes économétriques réalisées gratuitement par des agences immobilières avec des données relativement limitées ou erronées dont la finalité est en réalité d’obtenir un mandat de courtage.

Non ! Les entreprises qui administrent ces outils sont en principe spécialisés dans l’étude de marché et le développement de modèle statistiques alimentés par des données qui sont généralement fournies par des banques (car elles ont un usage de cet outil).

Malheureusement cette approche présente des points faibles notoires.

Par exemple, les données doivent être pertinentes, c’est-à-dire qu’elles doivent filtrer les éléments hors quantiles, comme les constructions dans un état proche de la ruine, ou hors de leur marché, inscrites à l’inventaire ou aux monuments historiques, etc.

Les châteaux, ici Chillon, sont par essence des objets dont la valeur ne peut pas être déterminées par une méthode hédoniste ou économétrique.
Les châteaux, ici Chillon, sont par essence des objets dont la valeur ne peut pas être déterminées par une méthode hédoniste ou économétrique.

Les modèles électroniques ont également beaucoup de peine à interpréter l’exercice des servitudes. Il faut donc se méfier de ce qui figure sur l’extrait du Registre Foncier qui pourrait mettre en faux le modèle.

Un autre point est que les données sont issues de prix de transaction. Mais qui pourra vous assurer que toutes les transactions ont bel et bien été réalisées au prix du marché ? Certaines étaient peut-être trop hautes ou trop basses ! Ce problème est cependant partiellement réduit par un effet de lissage, à tout le moins dans les grands centres urbains pour lesquels les transactions, et donc les données, sont nombreuses.

Considérons deux définitions de la valeur vénale suivante (une suisse et une européenne)

« La valeur vénale est le prix auquel des terrains et des immeubles peuvent être vendus dans un acte privé par un vendeur consentant à un acquéreur non lié au vendeur à la date de l’expertise, étant donné que le bien est proposé sur le marché libre, que les conditions de celui-ci en permettent une cession normale, et qu’une période suffisante pour la négociation de la vente, compte tenu de la nature du bien, a été respectée. »

(Source : CEI).

« La valeur vénale est le montant estimé auquel un immeuble devrait s’échanger, à la date de l’expertise, entre un acheteur consentant et un vendeur consentant, dans une transaction normale après une mise sur le marché courante et où les parties ont agi chacune sciemment, prudemment et sans contrainte. »

(Source : les normes d’expertise immobilière en Europe, TEGoVa 2005).

La lecture de ces deux définitions précise un élément fondamental qui définit la valeur, le caractère de normalité. Cette normalité n’est en réalité pas toujours atteinte, il existe régulièrement une pression sur le vendeur (divorce, entrée en EMS, conflit, crédit…).

Dès lors que la valeur n’est pas toujours égale au prix de la transaction, la base de données qui est alimentée par des prix devient faussée.

Autre souci, le manque de données ou les données anciennes (par absence de données récentes). Que faut-il déduire de données statistiques se basant sur des échanges vieux de 3 ans, 4 ans ou même plus dans un marché en constante évolution ? Comment établir une statistique fiable sur la base d’un unique échange dans une commune (et dont on ne connait jamais tous les éléments) ?

Le marché, les caractéristiques de l’objet et de son milieu, ainsi que le fractionnement politique et juridique du territoire Suisse sont des éléments qui rendent très difficile, voire parfois impossible, de travailler par analogie sans que l’humain ait à intervenir.

Ainsi quand il vous est offert par un vendeur « sans commission », ou même par courtier traditionnel, de procéder à une estimation gratuite, posez vous les questions suivantes :

Le marché dans ma commune/localité, est-il important ? La quantité de donnée, c’est-à-dire de vente (car les donations et héritages n’entrent pas forcément dans les statistiques) est-elle suffisante pour établir un modèle fiable ? Ces ventes sont-elles récentes ?

Mais encore : mon bien est-il spécial ? Comprend-il des servitudes, des mentions ou des restrictions propres à le mettre hors quantiles du point de vu des bases statistiques (Monument Historique, zone réservée, secteur de protection des eaux, dangers naturels, sites pollués, servitude contraignante, DDP, usufruit…) ? Ces éléments ont-ils été intégrés? Le traitement de ce données est-il correct? Bien souvent, vous n’aurez la réponse qu’en consultant l’estimation.

Malheureusement, les personnes non averties risquent fortement de ne pas avoir le recul et les connaissances préalables à la compréhension de l’estimation produite.

Si c’est le cas et que les éléments du rapport vous paraissent peu claires, que votre bien correspond, pour une question ou une autre, à un objet « hors quantile », alors tournez vous vers un expert immobilier indépendant et connaissant le marché local. (de préférence membre de la chambre).

Cela vous évitera peut-être de vendre votre bien trop bon marché et de devenir un client insatisfait.

Alors en cas de doute, appelez-nous.

Gilles Vago
Expert en estimations immobilières avec Brevet Fédéral
Membre de la Chambre suisse d'Experts en estimations Immobilières (CEI)
109A6113

16 Oct